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Prison ferme pour le forcené qui voulait "tuer des Zoreys"

SAINT-DENIS. Si l'altération de son discernement a été retenue, l'homme qui s'était introduit armé dans un restaurant de l'avenue de la Victoire le 20 février en criant "vouloir tuer des Zoreys au nom de Dieu", a été condamné, hier, à trois ans de prison, dont un ferme.


Auteur de l'article : Prison ferme pour le forcené qui voulait "tuer des Zoreys"
Rédigé par Clicanoo

"Je souhaite présenter mes excuses aux clients du restaurant, aux employés, aux policiers. J’ai eu du mal à me détacher de l’actualité alors que j’avais négligé mon suivi psychiatrique. Je ne savais plus ce que je faisais, j’étais chamboulé, je ne contrôlait plus mes pensées." Difficile de croire que le jeune homme chétif qui s’excuse poliment à la barre est le même individu que témoins et policiers ont décrit "surexcité", "en furie" , voire "en pleine crise haineuse" ce soir du 20 février dernier, en plein centre-ville dionysien.
Après une dizaine de jours d’internement et quelques semaines de détention provisoire, Noor-Mohamed Moossajee, 24 ans, comparaissait, hier, devant le tribunal correctionnel pour menaces de mort en raison de la race, l’ethnie ou la religion, violences sur dépositaire de l’autorité publique, outrage et rébellion.
Ce soir-là, vers 19h30, les policiers de la BAC sont envoyés avenue de la Victoire, au niveau du restaurant L’Instant Sushi, où une scène à peine croyable vient de se dérouler sous les yeux du personnel et des clients sidérés (Le JIR du 21 février). Un homme dans un état de surexcitation extrême pénètre à deux reprises sur la terrasse, armé d’un couteau-papillon et d’une matraque télescopique. S’adressant au restaurateur et à un employé, il leur dit vouloir "tuer du Blanc, du Français de France, du Zorey." Puis, au patron : "Les Blancs sont des chiens. Je vais rejoindre Dieu et toi l’enfer." "Il avait le regard vide, il suait abondamment" décrira le personnel qui, avec un sang-froid remarquable, parvient à le repousser à l’extérieur et à refermer la grille.

Bipolaire et borderline

Quand la police arrive, le forcené vient de poser ses armes sur le toit d’une voiture. Il est aussitôt plaqué au sol, difficilement menotté et embarqué dans la voiture. Mais dans un véritable "déchaînement de violence", il frappe les policiers de ses pieds et ses genoux, mordant même l’un d’eux "au point de perforer son gant d’intervention et entailler son majeur", relate le président Stéphane Duchemin.
Le soir même, le père de l’individu arrêté se présente au commissariat avec un courrier de son fils trouvé à côté de ses boîtes de médicament évoquant "les musulmans persécutés", "beaucoup de morts pour une cause juste" et ponctuée d’un inquiétant "adieu." L’homme explique également que son fils a fait l’objet de nombreux séjours en hôpital psychiatrique depuis son enfance, mais qu’il "allait mieux" depuis 2019. Au point d’espacer, de sa propre initiative, ses prises de traitement.
L’expert confirmera les pathologies mentales présentes chez le jeune homme : "trouble de l’attention et de l’hyperactivité", "personnalité bipolaire psychotique" et "borderline." De quoi préjuger de sa "dangerosité psychiatrique", mais aussi "d’une altération partielle du discernement au moment des faits."
"J’admets en toute humilité avoir sous-estimé mes problèmes psychiatriques. C’est honteux pour moi mais je dois me faire soigner"
confirme le prévenu, affirmant qu’il avait pris ce soir-là "des médicaments à dose supra-thérapeutique" après plusieurs semaines d’interruption. Ce que l’enquête n’a pas vérifié.
Partie civile, Me Anna Ferre relève "une situation pas classique", soulignant "le traumatisme des policiers qui ont eu affaire à un individu déchaîné, proférant des menaces très inquiétantes."

"Contexte anxiogène"

"Ces faits résonnent particulièrement dans le contexte actuel. Un homme armé qui dit vouloir tuer des Blancs au nom d’Allah, forcément ça fait peur" enchaîne la vice-procureur Charlène Delmoitié. "Et si une partie des faits est liée aux troubles psychiques du prévenu, il est malgré tout pénalement responsable de ce qu’il faisait." Tenant compte d’"un discours de prise de conscience", elle estime néanmoins nécessaire de s’assurer de la continuité des soins "en prolongeant la détention." Et de requérir 18 mois de prison dont 12 avec un sursis probatoire renforcé.
"Bien sûr que dans ce contexte anxiogène, tout le monde a dû s’affoler ce soir-là. Mais il est clair que sans cette pathologie, il n’y aurait pas eu de passage à l’acte", plaide Me Jean-Jacques Morel en défense de "ce garçon ultrasensible, qui a pu être marqué par les images du 7 octobre mais aussi un sentiment d’islamophobie qui existe." "Il n’a pas su faire la part des choses et, compte tenu de ses facultés largement altérées, il a pété un câble" reprend l’avocat, mettant en avant "l’Islam pacifiste pratiqué dans sa famille" et estimant que "la confusion mentale est le point crucial de ce dossier."
"Je regrette énormément, mais je ne pense pas mériter de retourner en prison"
, termine Noor-Mohamed Moosajee, "ce serait une mort sociale et mentale." Pas de quoi rassurer totalement le tribunal, qui ira au-delà des réquisitions en le condamnant à trois ans de prison dont deux ans de sursis probatoire renforcé, avec maintien en détention.


Sébastien Gignoux

> Un "flou" inquiétant
"Votre santé mentale c’est une chose, mais sur vos motivations, c’est beaucoup plus flou" adresse le président au prévenu, méfiant face aux longues excuses développées par celui-ci. "J’avais regardé des vidéos. Je suis très sensible, j’ai horreur du sang" explique Noor-Mohamed Moossajee. "Mais cela ne correspond pas à ce qu’on a vu de l’exploitation de votre i-Pad", reprend le juge. Les techniciens ont en effet relevé dans la tablette, aux instants précédant les faits, les recherches internet effectués durant près de deux heures par le prévenu à propos du profil d’une jeune femme qui tient sur X (ex-Twitter) des propos particulièrement virulents contre l’Islam. "Elle menaçait de divulguer l’adresse d’un de mes coreligionnaires. Je voulais trouver son adresse et je n’ai pas réussi. Ça m’a frustré", reconnaît le prévenu.
D’autres éléments inquiétants du profil du Dionysien sont évoqués. Comme cet épisode de mai 2022, lorsque le jeune homme se présente au commissariat Malartic en expliquant "qu’après avoir vu une vidéo d’un contrôle de police sur des femmes voilées", il est sorti dans la rue armé d’un couteau "pour faire du mal à des innocents." Avant de se raviser... "J’ai une addiction pour des contenus malsains, qui me font du mal. Je ne comprend pas comment j’en suis arrivé là, c’est contre l’éducation et les convictions que j’ai reçues", s’excuse encore le prévenu. "Il s’agit d’un débat piégé", intervient le président. "On ne saura pas si ce discours d’excuses ne relève pas d’une stratégie de dissimulation."


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