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La Réunion mise sur le fruit à pain

AGRICULTURE. Alors que la pénurie d'oignons vient rappeler à La Réunion sa dépendance aux importations, la mairie de Bras-Panon et la chambre d'agriculture se sont lancées dans le développement d'une filière de fruit à pain avec l'aide de la chambre verte de Tahiti, patrie du fruit, qui va fournir 2 500 plants in-vitro. Les industriels se disent déjà prêts à les transformer.


Auteur de l'article : La Réunion mise sur le fruit à pain
Rédigé par Clicanoo

Deux îles perdues au milieu de l'océan, distantes de plus de 15 000 km, mais qui ont une même problématique. Leur dépendance aux importations. En la matière, La Réunion bat des records : en 2022, les importations de fruits et légumes ont bondi de 12 % par rapport à 2019, année de l'avant covid. La Réunion a importé, cette année-là, 22 650 tonnes de fruits et 18 650 tonnes de légumes. Et pourtant, les Réunionnais cherchent aujourd'hui désespérément des oignons sur les étals où le prix du kilo atteint les 10 euros… La conséquence, entre autres, d'un ralentissement des exportations venues d'Asie. Et si le riz ou d'autres aliments de première nécessité étaient aussi concernés demain ?
La Réunion importe plus de 40 000 tonnes de riz par an. Devant les Jeunes agriculteurs, réunis en assemblée générale vendredi dernier (notre édition du 20 avril), le maire de Bras-Panon, Jeannick Atchapa, a tiré la sonnette d'alarme. Face à des équilibres mondiaux fragiles et à un changement climatique "porteur de désordre et de nouvelles maladies, la question est comment nourrir notre population", affiche l'élu. À ses yeux, le fruit à pain est celui qui "symbolise le mieux la souveraineté alimentaire, celui qui peut nous nourrir si demain nous sommes coupés du monde, comme le dit Prosper Eve." Le fruit à pain a pour lui de produire beaucoup et plusieurs fois par an, d'être résistant. Le fruit peut aussi être conservé longtemps et se mange sous de très diverses manières. La commune s'était lancée, dès 2020, dans un projet de production et de création d'une filière mais le projet s'était heurté à la difficulté de se procurer des plants.

UNE CROISSANCE DEUX FOIS PLUS RAPIDE

L'espoir renaît grâce à Tahiti, patrie du fruit à pain. Après des rencontres au Salon de l'agriculture de Paris, le président de la chambre d'agriculture et de la pêche lagonaire de Polynésie, Thomas Moutame, accompagné de trois techniciens, était dans l'île début mars pour signer une convention de partenariat. D'un côté, La Réunion apporte son savoir-faire pour développer la culture de l'ananas en Polynésie. En retour, cette dernière va fournir son expérience et 2 500 plants in-vitro de fruits à pain, le "pain des Polynésiens." "Si tu n'as pas un fruit à pain dans ta cour tu n'es pas un Polynésien !", s'amusait le président de la chambre verte de Tahiti lors de sa visite. "70 % de ce qu'on mange est produit de l'extérieur, il faut réagir", commentait-il de concert avec son homologue réunionnais.
Il ambitionne de transformer le fruit à pain à grande échelle pour remplacer le pain dans les cantines. Le savoir-faire est au rendez-vous. Contre près de quatre ans, moins de deux ans suffisent pour faire pousser un arbre issu des vitro-plants polynésiens. Les premiers sont attendus d'ici à la fin de l'année à un stade de 30 cm de pousse. Ils seront ensuite rempotés à la pépinière de l'ACI de diversification agricole de l'ARDIE, basée à Paniandy, à Bras-Panon. Ils seront ensuite mis à disposition d'agriculteurs volontaires. Pas question d'arracher d'autres cultures : "C'est un produit de diversification sur des parcelles non exploitées, de bords de ravines ou comme brise-vent, il y a un potentiel foncier", juge le président de la chambre verte de La Réunion, Frédéric Vienne. Selon la ville, 5 à 6 pieds suffiraient pour assurer une récolte et un revenu. Et donner accessoirement à manger s'il ne devait n'y avoir plus rien.


P.M.

> Les industriels prêts à le transformer
Pour accompagner le développement d'une filière, une étude a été menée par Qualitropic autour des enjeux d'écoulement et de transformation du fruit à pain, afin de le rendre rentable pour les producteurs et présent dans les commerces de l'île sous des formes diverses (farine, chips, frites…). Une première réponse pourrait prendre la forme d'un projet d'installation de deux unités de transformation végétale et animale dans l'Est, potentiellement sur le champ de foire de Bras-Panon. Il fera l'objet d'une table ronde lors de la foire agricole.
Le territoire de l'Est semble idéal pour le fruit à pain, plus à l'aise dans les régions humides. La réponse sera aussi industrielle. On le sait, dans le cadre du plan de relance, Royal Bourbon industrie a investi lourdement pour s'équiper de nouvelles chaînes de fabrication notamment pour produire du pur jus de tangor et de citron (notre édition du 25 août). Pas seulement : l'entreprise agro-alimentaire s'est aussi équipée d'une pelleuse ultra-moderne et adaptée aux produits locaux, capable de transformer 1,5 tonne à l'heure. De quoi augmenter la production et la qualité et finalement être plus compétitif en matière de prix. L'objectif est de proposer des gammes de produits prêts à l'emploi de manioc, patate douce, papaye et autre fruit à pain mais aussi cuisinés dans un second temps, de type frites de fruits à pain.
Reste à en produire, l'approvisionnement étant quasi égal à zéro aujourd'hui. Un autre industriel était présent lors de la visite des Polynésiens, le gérant des Confiseries d'Émilie, Jean Ledenon. Il se dit prêt à planter un hectare pour produire ses propres gâteaux de fruits à pain.

> Casser l'image de "produit la misère"
Une autre étude a été lancée par Qualitropic et le Cirad pour une approche plus "cognitive" autour du fruit à pain. Menée par une chercheuse lyonnaise spécialisée, venue quatre mois à Bras-Panon, elle vise à développer des stratégies pour redonner aux Réunionnais et plus spécialement aux jeunes et aux "futures générations le goût des tubercules et du fruit à pain principalement", indique Jeannick Atchapa. Ce qui commence par reconnaître les produits et savoir les transformer. "Il faut rétablir dans la conscience collective, valoriser, les tubercules, le manioc, qui souffrent d'une image négative de produits la misère, nou préfère manger ce qui vient d'ailleurs, La Réunion peut être coupée de tout, il nous faut être organisé comme l'étaient nos aïeux", a plaidé le maire de Bras-Panon devant les Jeunes agriculteurs vendredi. Recettes, présentation, santé, communication… L'objectif est de remettre les fruits et légumes lontan au goût du jour.

> Une star du marché forain
S'ils étaient rares et un peu trop vert lors de notre visite sur le marché forain de Bras-Panon un récent jeudi matin, Karine, une bazardière habituée des lieux, est formelle, le fruit à pain se vend comme des petits pains. "S'il y a de beaux fruits ça part tout de suite, c'est certain que ça partira s'il y en a plus, dès que c'est la saison on en vend beaucoup mais il faut qu'il soit bien jaune, c'est un plat ancestral, on en vend jusqu'à 200 par semaine, juste le jeudi, ils viennent d'un producteur d'ici." Mais elle le reconnaît, le fruit, comme d'autres produits "lontan", souffre d'un déficit de notoriété auprès des jeunes "alors que c'est délicieux en boulettes, en confiture, en frites ou avec une sauce piment." Et lui garde les pieds sur terre. Lors de notre passage, les fruits à pain étaient vendus deux euros pièce.


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